Dans un article précédent je vous présentais la méditation Vipassana en 10 jours. En clair, la méthode Vipassana c’est 10 jours de méditation à raison de 10h de pratique par jour et un code de discipline rigoureux.

J’ai donc profité de ma présence en Birmanie pour y faire une retraite de 10 jours de Vipassana à Pwiin Oo Lwin au centre Dhamma Mahima.

Voici comment ça s’est passé

Jour 0 : j’arrive au centre confiant, on me mène à ma chambre. Je laisse livres, téléphone et ordinateur aux organisateurs comme prévu. A 21h30, extinction des feux. Seul, allongé dans le noir je commence à devenir d’un coup moins confiant. Je réalise que 10 jours sans parler, ni lire et ni écrire ça ne sera peut-être pas aussi facile que ce que j’avais imaginé !

Jour 1 : la journée commence à 4h30, pas facile le premier matin. Tout le monde arrive un peu groggy dans la salle. On n’apprend pas la méthode Vipassana dès le premier jour, d’abord on nous apprend Anapana qui signifie « observer sa respiration » en Pali.

On nous demande juste de nous asseoir et d’observer notre respiration naturelle au niveau du nez. « C’est tout ?! Easy! » Je commence l’exercice, au bout de 10 secondes je me mets à penser.. Bon on reprend. On observe et… Quoi ?! Encore une pensée ? C’est à ce moment que je commence à comprendre que mon esprit est sans cesse en train de m’envoyer compulsivement des pensées au quotidien et que je ne m’en rends même pas compte habituellement. Nous sommes tout le temps en train de penser au passé et au futur, c’est devenu tellement naturel qu’on ne s’en rend même pas compte.

Bref après 10h d’exercice je comprends que mon mental est un vrai psychopathe. Pendant 10h il a tenté de me détourner du moment présent en m’envoyant des projections du futur, dans 1 semaine, dans 1 mois, dans 1 an… Des projections optimistes, des projections pessimistes. Il m’a ramené dans le passé en me remémorant pleins de moments, au début c’était des moments assez récents et plus ça allait plus il m’envoyait de brefs souvenirs que je pensais avoir complètement oublié comme si le mental creusait dans le passé et me ressortait tous les souvenirs qu’il trouvait par peur de ne plus en trouver. Il m’a également envoyé des chansons dans la tête, quand tu passes 1 heure entière avec une chanson dans la tête et que ça ne s’arrête pas il y de quoi devenir fou !

Croyez moi, nous sommes tous pareils. Notre mental est un singe fou qui saute de branche en branche au moment même où vous lisez ces lignes. Mais tout se fait inconsciemment.

Jour 2 et 3 : même exercice mais cette fois on observe également les sensations au niveau du nez. Le mental est toujours agité. Eh oui, c’est pas en une journée de méditation qu’on va calmer deux décennies de ruminations !

Les pensées n’arrêtent pas, je pense à pleins de choses. À la pause, je vais jusqu’à fouiller ma valise pour retrouver un stylo et noter ces idées sur un prospectus Vipassana.. Sur le moment c’était une question de vie ou de mort de les noter! En les relisant à la fin des 10 jours ces notes n’étaient d’aucun intérêt. Aaaah le pouvoir du mental ! Cette faculté que nous avons de donner de l’importance au futile pour s’éloigner de l’essentiel.

Pendant les pauses certains font une marche dans le jardin du centre de méditation. Je me fais la réflexion que ce lieu ressemble un peu à une maison de retraite : des résidences, un cantine, un joli jardin. Mais vu que le code de discipline nous interdit de communiquer entre nous ça prends vite des allures d’hôpital psychiatrique quand les âmes errent dans le jardin.

Jour 4 à 6 : nous allons enfin apprendre Vipassana ! Je dois avouer que je suis assez impatient. J’ai quand même passé 3 jours à observer mon nez ! Et j’attends beaucoup de cette technique — sûrement un peu trop.

Contre toute attente la technique est d’une simplicité extrême. Il s’agit d’observer les sensations sur chaque partie du corps et pour chaque sensation l’observer sans réagir. C’est à dire ne pas tomber dans le besoin avide d’une sensation plaisante — et quand on médite aussi longtemps il arrive de purs moments d’extase — ni d’aversion pour une sensation déplaisante — et quand vous restez assis aussi longtemps il arrive également des moments assez douloureux. Autrement dit il faut rester conscient et équanime ( de l’anglais « equanimous », serein quoi ou impassible)

Dès les premières heures de pratique je rentre rapidement dans un état d’extase. J’ai littéralement l’impression de ressentir l’énergie que dégage mon corps. Parfois c’est tellement intense que c’est comme si j’étais la torche humaine des 4 fantastiques. Malgré les avertissements de l’enseignant de ne pas s’attacher aux sensations, de ne pas avoir d’avidité, c’était plus fort que moi je voulais retrouver cette extase à chaque méditation. Plus j’avais d’avidité pour retrouver ce bien-être moins je le retrouvais. En contrepartie je ressentais de plus en plus mes douleurs et j’en avais une aversion grandissante. Ça m’a valu des hauts et des bas pendant plusieurs jours.

Jour 7 : je réalise à quel point nous sommes régis par l’avidité, l’aversion et l’ignorance. Nous passons notre vie à réagir aux sensations sans même s’en rendre compte. Dans notre subconscient se loge toutes les réactions à chaque sensation, tout ce que nous avons stocké en grandissant. Maintenant que nous sommes programmés nous agissons comme des robots dans l’inconscience la plus totale. Bon, maintenant que j’ai un peu plus de recul sur l’avidité et l’aversion je peux me remettre au travail.

Jour 8 : à partir de ce moment je redeviens observateur de mes pensées et mes sensations mais c’est encore difficile de les observer sans réagir. Il arrive toujours un moment où quand on se sent bien on souhaite que ça dure à jamais. Et quand on a une sensation déplaisante on éprouve une profonde aversion.. C’est exactement ce qui se passe dans la vie sauf que là j’en prend conscience concrètement et je commence à comprendre que ça n’arrive pas de nulle part. C’est toujours une pensée qui vient déclencher une réaction à une sensation.

Jour 9 : ma conscience des sensations devient de plus en plus subtile. Ma résistance à la douleur augmente et mon impatience diminue, je me sens plus serein.

Mais en pleine méditation mon cœur se met à taper très fort dans le thorax. Le bruit résonne dans tout mon corps et devient assourdissant. À ma grande surprise je parviens à observer ce phénomène sans y réagir jusqu’à ce que cela disparaisse au bout d’une vingtaine de minutes.

Cela est enseigné comme le phénomène d’impermanence, « Anicca » en Pali. On nous explique que le fait d’expérimenter l’impermanence nous détache de la souffrance. En gros, ça va ça vient, c’est valable pour la naissance, la mort, le plaisir, la souffrance, pour chaque situation de la vie.

Comprendre que tout est impermanent c’est se détacher d’une situation et ne plus en dépendre pour se sentir heureux. Autrement dit si vous êtes milliardaire et demain vous vous retrouvez sans rien vous saurez rester serein. Alors bien sûr vous ne sauterez pas de joie mais vous ne lutterez pas intérieurement contre la réalité des choses.

Jour 10 : on retrouve notre droit à la parole ! Pour certains c’est une sensation assourdissante de ré-entendre sa voix. Je dois avouer que cela ne m’avait pas manqué. Je me rends rapidement compte que la parole est un instrument puissant pour l’ego. En discutant avec certains j’observe que l’image que j’avais d’eux diffère complètement de ce qu’il paraissent maintenant qu’ils parlent.

Jour 11 : dernière méditation, dernier discours et nous sommes libérés à 9h du matin. Les birmans reçoivent peu d’étrangers aux Retraites Vipassana, l’enseignant était très heureux de nous inviter chez lui après et de nous faire visiter la ville. Ils sont top ces birmans !

Pour conclure

Après le dernier jour :

Après ces 10 jours de méditation je me sens un peu comme une jeune recrue qui vient de terminer 1 an de service militaire à la différence que ma résistance ne s’est pas développée dans la peur et la violence mais dans l’amour et la bienveillance. J’ai beaucoup moins d’aversion pour les choses de la vie que je redoute et je prends plus facilement les mauvais événements qui m’arrivent avec sang-froid (n’allons pas jusqu’à dire avec sérénité ce serait mentir), je trouve même parfois de bonnes leçons à tirer de certains événements, c’est ce qu’on appelle positiver non ?

Il reste encore des réactions et des pensées bien ancrées mais en 10 jours il ne faut pas non plus espérer des miracles, quoi que cela dépend de chaque élève. J’ai également arrêté de vivre dans l’avidité du besoin, typiquement les réflexions tels que « je me sentirai mieux quand … ». Toutes ces réflexions me tenaient dans l’illusion que le présent n’était jamais le bon moment et cette résistance ne m’aidait pas vraiment.

Après 10 jours sans smartphone j’ai réalisé à quel point je pouvais passer du temps dessus et y être dépendant. Surtout les réseaux sociaux qui me servent d’échappatoire, un peu comme la TV ou les jeux vidéos pour d’autres (ou l’alcool, ou le travail… enfin chacun son truc).

Après deux semaines :

Soyons franc, j’ai complètement arrêté la méditation une fois le retour à la vie normale. J’étais bien trop content de reprendre le voyage et je me sentais super bien alors pourquoi méditer ? Et petit à petit les bonnes vieilles habitudes sont revenues et tout ce que j’avais appris n’était qu’un lointain souvenir.

Ma réaction à été du genre « elle est pourrie cette méthode je souffre autant qu’avant ! ». Quelques jours après je me suis mis à lire « Le pouvoir du moment présent » d’Eckart Tolle et j’y ai retrouvé beaucoup de similitudes avec ce que j’ai entendu dans les discours de S.N Goenka. Mais ça m’a également rappelé que cela ne fonctionnait qu’en le pratiquant et que personne ne peut le faire à ma place. Je me suis donc remis en selle !

Après un mois :

La magie est de retour ! Je redeviens l’observateur de mes pensées et sensations ce qui m’évite bien des réactions ou des modes de pensées automatiques. Bien sûr parfois il m’arrive encore de lâcher l’observation et de me laisser contrôler par mes réactions et pensées mais il y a toujours un moment où je reprends contact avec ma conscience (même si des fois c’est seulement le lendemain mais c’est toujours mieux qu’une semaine à ruminer nan?).

Plus j’arrête de résister à la réalité plus j’ai l’impression de m’attirer de bonnes situations tout semble se résoudre tout seul et sans forcer. Auparavant ces situations m’auraient poussé à catastropher et à me ruiner le moral même après résolution du problème.

J’ai également la sensation d’habiter mon corps et moins mes pensées ce qui me donne une sensation de sérénité et un bien meilleur feeling quand une sensation arrive. Et je peux dire que par moment je suis vraiment là. Pas en mode pilote automatique en façade alors que les pensées défilent en arrière boutique.

Mon mode de vie se voit changer également. J’avais déjà arrêté de fumer avant Vipassana mais il m’arrivait de céder sous la pulsion pour une cigarette. Plus maintenant, et sans avoir à lutter avec moi même. Idem pour la nourriture, j’avais tendance à manger très vite et souvent en quantité. Un peu comme si je cherchais à compenser un manque.

J’ai également allumer la lumière à l’étage « faire la fête et boire c’est trop bien ». Je n’ai plus envie de boire à outrance et faire la fête jusqu’à l’aube. Je dois avouer que beaucoup de schémas de pensée sont en train de sauter et pour mon plus grand bien !

Je deviens « moi-même ». Depuis longtemps j’avais l’inconsciente habitude de refléter à mon entourage l’image qu’ils attendaient de moi. Croyez-moi ça prend énormément d’énergie ! D’en avoir pris conscience m’a redonné un nouveau souffle et je reste observateur. Parfois je me surprends en train de dire des choses que je ne pense pas vraiment mais qui correspondent à l’image que je veux renvoyer à cette personne. C’est un peu comme prendre quelqu’un la main dans le sac et lui demander de s’excuser, sauf que le justicier et le criminel sont la même personne.. Ma santé mentale va très bien merci ! 🙂